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samedi 21 janvier 2023

Haïkus de l'équilibre



 

Nouveau livre à paraître à la mi-février 2023 en librairie , mais déjà disponible chez l'éditeur Géorama .

 

Équilibre entre les images et les textes qui ne se veulent pas simples légendes pléonastiques .

Équilibre entre les pierres : respecter les lois de la gravité et la recherche esthétique de la légèreté.C'est                 le vide et l'espace entre les pierres qui maintient cet équilibre . Arnaud Arcizet est un                             architecte du vide.

Équilibre entre les mots du haïku qui doivent tenir la gageure rhétorique de se servir d'un lexique                            récurrent sans se répéter .

                 Arnaud et moi-même avons essayé de tenir ces équilibres dont la qualité dépend de                                  leur fragilité .

           

 

 Préface .

            " Équilibrer le monde ".


                                                    « Le grave est la racine du léger ;

                                                    maître du mouvement, le calme . »

                                                                        LAO ZI .Tao Tê King


    Comment équilibrer le monde ? Le monde d’en haut et le monde d’en bas ? celui du ciel et celui de la terre ? celui des pierres et celui des mots ? Pierres dressées, à quelle adresse destinées?Autant de questions auxquelles essaient de répondre Arnaud Arcizet, land-artiste et photographe et Jacques Poullaouec , auteur de haïkus , dans ce livre de dialogue entre image et poésie .

    Il faut être deux pour parler de l’entre-deux .L’un pose ses pierres ; l’autre pèse ses mots . Le land-artiste, avec grand soin et beaucoup de méticulosité, lentement , pose une pierre sur une autre pierre . Il doit décider jusqu’où ne pas aller trop haut et s’arrêter quand il estime avoir atteint l’équilibre et l’harmonie : élever une pierre, c’est s’élever , atteindre le ciel . Pierres dressées , à quelle adresse destinées ? Il faut raccommoder le monde . Pour garder une trace de cette œuvre éphémère, définitivement provisoire et provisoirement définitive, il prendra quelques photographies. L’auteur de haïkus, lui, est dans le cheminement inverse : au lieu de rajouter il retranche . Il travaille à l’économie de mots pour faire entrer tout un univers dans le microcosme du haïku . En trois lignes, il doit dire le maximum dans l’ « imminimisable minime minimum » du plus petit poème du monde.

    Qui a dit que les pierres étaient muettes ? Elles ont leur langage, elles parlent à la main qui les fait parler entre elles . Le land-art et le haïku veulent traduire cette langue particulière . Arnaud et Jacques ont ceci en commun d’être des contempl-actifs . Que se passe-t-il dans la tête du poseur de pierres ? Que se passe-t-il dans la tête du poseur de mots ? Une faculté de concentration et d’oubli : oublier et s’oublier pour se trouver .Il ne faut pas être pressé, il faut prendre son temps, sinon c’est le Temps qui vous prend. Poser c’est aussi peser : le poids des pierres et le poids des mots

    Vous me direz sans doute que tout ceci est inutile , je vous répondrai que c’est bien pour cela que c’est indispensable .

Jacques Poullaouec

 

 

 Il faut s'attacher à démontrer l'utile "inutilité " de la littérature et des arts qui ne doivent pas être soumis au principe de rentabilité . Ionesco, dans un texte prémonitoire écrivait ceci :

 "Dans toutes les grandes villes du monde, c'est pareil ; l'homme moderne ,universel, c'est l'homme pressé; il n'a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité. Il ne comprend pas qu'une chose puisse ne pas être utile; il ne comprend pas non plus que , dans le fond, c'est l'utile qui peut être un poids inutile, accablant . Si l'on ne comprend pas l'utilité de l'inutile, l'inutilité de l'utile, on ne comprend pas l'art ; et un pays où on ne comprend pas l'art est un pays d'esclaves et de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne rient pas, un pays sans esprit ; où il n'y a pas d'humour, où il n'y a pas le rire, où il y a la colère et la haine."



1

Sur l’arête vive du temps

il voulait tenir en équilibre

le vide et le plein


2

tout peut basculer

le ciel dans la mer

le passé dans le présent


3

le soleil en équilibre sur la pierre

ça va bientôt basculer

et allumer quelques étoiles


4

Soleil et lune

en équilibre

Sisyphe heureux sur son rocher


5

il suffirait de peu

pour briser le fragile équilibre

le poids d’une plume ?

 

.......and so on


 

 

                                                A la nature et à son fragile équilibre


    Le rock balancing (ou stone balancing) est une pratique de méditation par les pierres. C’est également un art qui consiste à superposer naturellement des pierres en jouant avec la gravité, le contrepoids, et les points de pression, l’idée étant de trouver avec patience et minutie la façon d’agencer les pierres choisies de manière à créer un édifice (une sculpture) la plus harmonieuse et spectaculaire possible pour que ce dernier tienne comme par miracle. Cet art est très connu et pratiqué au Japon dans les jardins zen et pourrait remonter aux origines de l’humanité.

    C’est dans une librairie que je suis tombé par hasard sur le livre de Travis Ruskus, Cairns, qui m’a fait l’effet d’une révélation. J’étais dans une période de recherche créative liée à l’environnement. Habitant la côte nord du Finistère, il me fut facile d’essayer de dresser à mon tour quelques pierres, beaucoup plus difficile de parvenir à un résultat satisfaisant. Il m’a fallu des mois pour tenter de maîtriser cette pratique à commencer par la recherche et la lecture des pierres elles-mêmes, le toucher, la perception de la matière et leur association possible entre elles… Moi qui suis d’une nature plutôt dispersée, j’ai dû me plier aux exigences de la patience, de la concentration et de l’idée fixe de parvenir à un résultat même si pour les équilibres les plus complexes, j’ai mis parfois plusieurs semaines avant d’arriver à ce qui me semblait perfection et harmonie avec le paysage et moi-même.

    Je tenais bien sûr à respecter les règles de cette pratique à savoir de toujours laisser le lieu d’édification aussi vierge qu’au départ, ce qui veut dire qu’une fois bâtie, ma sculpture est photographiée puis démantelée pour que chaque pierre retrouve son emplacement d’origine. Je fais toujours en sorte de ne jamais prendre de pierre abritant ou hébergeant la moindre trace de vie animale.

    Toutes ces sculptures que vous allez découvrir n’existent donc plus, elles sont juste figées sur la pellicule et sur ces pages, et n’ont existé que le temps d’un regard, d’une méditation ou d’une bourrasque ; un art de l’éphémère et de détachement aux choses de ce monde en quelque sorte qui me convient parfaitement et qui se prêtait magistralement à l’exercice du haïku (encore le Japon) et au travail de Jacques Poullaouec que je remercie grandement pour la finesse de ses textes.


Arnaud Arcizet


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