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lundi 7 avril 2014

POURQUOI ECRIVEZ-VOUS ?

Si je le savais, je n'écrirais pas.










"A la vieille question stérile : "pourquoi écrivez-vous ?" le Kafka de Marthe Robert substitue une question neuve : "Comment écrire ?"
et ce Comment épuise le Pourquoi : tout à coup l'impasse s'ouvre, une vérité apparaît. Cette vérité , cette réponse de Kafka ( à tous ceux qui veulent écrire), c'est celle-ci :

         "L'être de la littérature n'est rien d'autre que sa technique."

Roland Barthes / Essais critiques 1960.


Breyten Breytenbach :

"J'écris : et l'écriture est un sens , une décodification possible de l'environnement , une symbiose avec ce qui est autre, un arrangement à l'amiable avec la matière.
C'est une cavale : la voie vers le labyrinthe, le labyrinthe-même, la description du labyrinthe et par-là le fil qui nullifie le labyrinthe. On écrit pour se mettre en mesure d'inventer un JE capable d'être la transaction de survie et de multiplication des paroles ; pour façonner une vérité; pour ériger des châteaux de sable contre le déferlant silence de la mer; pour trouver le coquillage de l'amnésie.
Enceint d'encre comme la mer, j'écris parce que l'écriture est un jeu futile et primitif."


Yusuf Idris, écrivain égyptien :

"J'écris parce que je vis et je continue de à écrire parce que je veux vivre mieux."

Charles Bukowski :

"Si je savais pourquoi j'écris, je n'en serais sûrement plus capable."


Julien Gracq :




" On écrit parce qu'on a déjà écrit - bien avant même son premier livre et dès l'enfance- des "rédactions", puis des "dissertations" (ni le peintre ni le musicien ne connaissent ce rail posé pour nous, et emprunté de bonne heure).

Milan Kundera :

"Ne serait-ce qu'une ridicule illusion, on est persuadé d'écrire parce qu'on a à dire ce que personne n'a dit...Ecrire , c'est donc le plaisir de contredire, le bonheur d'être seul contre tous, la joie de provoquer ses ennemis et d'irriter ses amis."

Patrick Modiano :

"C'est comme si, juste avant de sauter en parachute, vous vous demandiez : "mais pourquoi donc je saute en parachute ?" ça ne facilte pas les choses. Je crois qu'on écrit parce qu'on ne sait rien faire d'autre."

Samuel Beckett :


                       "Bon qu'à ça ."

Endo Shusaku :

"Les artistes japonais pensent traditionnellement au fond d'eux-mêmes que la création artistique est de toucher  la vie de l'Univers et de l'introduire dans leur œuvre."

Abe Kobo :

"Au niveau logique, la question est un nœud de Mœbius qui contient en elle-même la réponse. Pour l'écrivain, la création n'est pas seulement le résultat d'un choix, elle est une forme de la vie. L'interrogation "pourquoi" est une partie constitutive de la vie et, de même qu'on ne peut concevoir une solution à la raison de vivre, il ne se trouve pas plus de raison à l'acte d'écrire.

jeudi 3 avril 2014

LIRE UN TABLEAU

« Les livres sont ennuyeux à lire. Pas de libre circulation. On est invité à suivre. Le chemin est tracé, unique. Tout différent le tableau : immédiat, total. À gauche aussi, à droite, en profondeur, à volonté.
Pas de trajet, mille trajets, et les pauses ne sont pas indiquées. Dès qu'on le désire, le tableau à nouveau, entier. Dans un instant tout est là.
Tout, mais rien n'est connu encore. C'est ici qu'il faut vraiment commencer à lire. »

Lecture par Henri Michaux de 8 lithographies de Zao Wou Ki / 1950


mardi 1 avril 2014

"La promenade sous les arbres." Leçon d'écriture par Philippe Jaccottet.


         "Je ne veux pas dire que le poème soit donné ; ou même simplement facile; je ne veux pas dire non plus qu'il puisse naître n'importe quand; mais simplement que le travail poétique semble lui aussi exiger ce singulier équilibre entre la volonté et l'instinct, l'effort et l'abandon, la peine et le plaisir [...]C'est tout à la fois un exercice et une récompense. Un exercice, car il exige, à chaque fois, que l'on se retrouve en cet état de transparence; et le travail que l'on opère sur les mots, tour à tour les laissant faire, puis les reprenant , les modifiant, de sorte qu'à la fin, leur légèreté et leur limpidité soient aussi totales que possible, ce travail n'est pas seulement cérébral : il agit sur l'âme en quelque sorte, il l'aide à s'alléger et à se purifier davantage encore, de sorte que la vie et la poésie, tour à tour, s'efforcent en nous vers une amélioration de nous-mêmes, et une clarté toujours plus grande.
           
         Il faut évidemment se dépouiller de sa mauvaiseté, on n'en sort pas autrement. Il faut cesser de vouloir étonner à tout prix, ou accomplir de basses vengeances, ou plaire, ou vouloir servir des causes. Alors il semble bien que tout s'éclaire de nouveau, et on ne sait pas au juste comment. Quelque chose de merveilleux et de proche nous presse enfin de toutes parts, une promesse, presque une assurance, certes bien inattendues, nos misères ont maintenant des ailes, elles volent, nos paroles volent dans la lumière transparente, comme les hirondelles rapides aux soirs d'été, et au-dessous la vie de l'homme continue avec les changements du jour.[...] Il faut vivre la vie de tous les hommes, avec les yeux bien ouverts, regarder intensément le monde, adorer le monde dans sa figure mortelle, mais sans oublier que ce regard, cette adoration, cette patience dans un travail à la fois plaisant et difficile, tendent à l'exaltation toujours plus triomphante de la lumière; et que cette lumière est peut-être, à sa fine pointe, l'instrument du passage dans ce qui ne peut plus être ni lumière ni obscurité.
               
 [...]Il vaut mieux ne pas trop s'appesantir; les vérités poétiques (sont) faites pour le regard prompt et bientôt détourné d'un oiseau sans poids.
                

           La poésie est donc ce chant que l'on ne saisit pas, cet espace où l'on ne peut demeurer, cette clef qu'il faut toujours reperdre. Cessant d'être insaisissable, cessant d'être douteuse, cessant d'être ailleurs ( faut-il dire: cessant de n'être pas ?) , elle s'abîme, elle n'est plus.

                  Je ne respire qu'oublieux de moi.
                  C'est le triste souci de ma peau qui m'empêche d'être un vrai poète. 

Philippe Jaccottet
"La promenade sous les arbres" p.130 et suiv.


"L'attachement à soi augmente l'opacité de la vie.
Un moment de vrai oubli, et tous les écrans, les uns derrière les autres deviennent transparents, de sorte qu'on voit la clarté jusqu'au fond, aussi loin que la vue porte ; et du même coup plus rien ne pèse . Ainsi l'âme est vraiment changée en oiseau."

Semaison . / Mai 1954 / p. 335