Pages Poésie. Littérature . Gravure . Peinture. Photographie. Divers. Bio

mardi 1 avril 2014

"La promenade sous les arbres." Leçon d'écriture par Philippe Jaccottet.


         "Je ne veux pas dire que le poème soit donné ; ou même simplement facile; je ne veux pas dire non plus qu'il puisse naître n'importe quand; mais simplement que le travail poétique semble lui aussi exiger ce singulier équilibre entre la volonté et l'instinct, l'effort et l'abandon, la peine et le plaisir [...]C'est tout à la fois un exercice et une récompense. Un exercice, car il exige, à chaque fois, que l'on se retrouve en cet état de transparence; et le travail que l'on opère sur les mots, tour à tour les laissant faire, puis les reprenant , les modifiant, de sorte qu'à la fin, leur légèreté et leur limpidité soient aussi totales que possible, ce travail n'est pas seulement cérébral : il agit sur l'âme en quelque sorte, il l'aide à s'alléger et à se purifier davantage encore, de sorte que la vie et la poésie, tour à tour, s'efforcent en nous vers une amélioration de nous-mêmes, et une clarté toujours plus grande.
           
         Il faut évidemment se dépouiller de sa mauvaiseté, on n'en sort pas autrement. Il faut cesser de vouloir étonner à tout prix, ou accomplir de basses vengeances, ou plaire, ou vouloir servir des causes. Alors il semble bien que tout s'éclaire de nouveau, et on ne sait pas au juste comment. Quelque chose de merveilleux et de proche nous presse enfin de toutes parts, une promesse, presque une assurance, certes bien inattendues, nos misères ont maintenant des ailes, elles volent, nos paroles volent dans la lumière transparente, comme les hirondelles rapides aux soirs d'été, et au-dessous la vie de l'homme continue avec les changements du jour.[...] Il faut vivre la vie de tous les hommes, avec les yeux bien ouverts, regarder intensément le monde, adorer le monde dans sa figure mortelle, mais sans oublier que ce regard, cette adoration, cette patience dans un travail à la fois plaisant et difficile, tendent à l'exaltation toujours plus triomphante de la lumière; et que cette lumière est peut-être, à sa fine pointe, l'instrument du passage dans ce qui ne peut plus être ni lumière ni obscurité.
               
 [...]Il vaut mieux ne pas trop s'appesantir; les vérités poétiques (sont) faites pour le regard prompt et bientôt détourné d'un oiseau sans poids.
                

           La poésie est donc ce chant que l'on ne saisit pas, cet espace où l'on ne peut demeurer, cette clef qu'il faut toujours reperdre. Cessant d'être insaisissable, cessant d'être douteuse, cessant d'être ailleurs ( faut-il dire: cessant de n'être pas ?) , elle s'abîme, elle n'est plus.

                  Je ne respire qu'oublieux de moi.
                  C'est le triste souci de ma peau qui m'empêche d'être un vrai poète. 

Philippe Jaccottet
"La promenade sous les arbres" p.130 et suiv.


"L'attachement à soi augmente l'opacité de la vie.
Un moment de vrai oubli, et tous les écrans, les uns derrière les autres deviennent transparents, de sorte qu'on voit la clarté jusqu'au fond, aussi loin que la vue porte ; et du même coup plus rien ne pèse . Ainsi l'âme est vraiment changée en oiseau."

Semaison . / Mai 1954 / p. 335

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire