Au lieu d'écrire avec le doigt sur la buée d'une vitre, j'ai choisi de laisser sur ce blog quelques TRACES, des mots, des images, des racines traçantes qui sortiront sur d'autres terres, les vôtres peut-être.
Il y a des TRACES sans hommes
il n'y a pas d'homme sans TRACES,
même si nous sommes Définitivement provisoires et provisoirement définitifs.CARTE/ECART/TRACE.
N.B.Les textes et photos dont je suis l'auteur ne sont pas libres de droits
Pages Poésie. Littérature . Gravure . Peinture. Photographie. Divers. Bio
Belle découverte de ce début d'année 2023, celle d'une écriture et d'un écrivain luxembourgeois né en 1941qui est l'auteur depuis 2006 d'une série de 24 proseries réunies sous le titre "Le murmure du monde". Je suis en train d'en lire la dixième, intitulée "DANUBIENNEMENT" / éditions "L'arbre à paroles".
« 86.
Menus
faits & gestes que je note consciencieusement jour après jour
dans un cahier spécial, je me dis que c’est inutile que je les
note, ça n’a aucun sens que je les note, ça ne mène à rien que
je les note, c’est des événements dans la vie si menus si
minuscules si dérisoires que c’est pas des événements et ainsi
les journées passent, jour après jour, sans que rien n’arrive,
rien de mémorable, littéralement rien de notable, et pourtant, me
dis-je, les Des Forêts et les Tu Fu ont fait ça aussi, va savoir ce
qui les a pris de faire ça, puis je me dis que moi, chez eux,
j’apprécie qu’ils aient fait ça, noter le pas notable, il n’y
a rien de notable quand il fait ciel bleu, et ils notent qu’il fait
ciel bleu, qu’il fait ciel gris, noter qu’à midi la sirène a
retenti, qu’un tracteur est passé avec une remorque où
s’entassent des récipients pour les grappes vendangées, et Tu Fu
fait une allusion à la réalité de son trépas, et aussi laisser le
membre s’ériger, et savourer ça, et le manuéliser jusqu’à la
jouissance, comme s’il y avait là un rapport avec la réalité du
trépas, et ainsi jour après jour noter les notes du jour sans que
cela ne mène à rien, c’est juste des menus moments de résistance,
élémentaire & légitime plaisir d’exister. »
Lambert
Schlechter
Une
mite sous la semelle du Titien – le
Murmure du monde 7
Tinbad,
2018
Le soliloque n'est pas une maladie, mais une façon d'écrire , de se parler en s'adressant à la page blanche . La remplir peu à peu du flot ininterrompu de notes, de réflexions, d'observations du quotidien, de pensées qui coulent comme le Danube dans ce DANUBIENNEMENT. Ce courant continu, Lambert Schlechter le nomme "proseries", joli mot-valise à la fois prose et poésie, mais aussi causeries sur la vie qui passe mais dont il sait capter à la fois les ennuis liés à l'âge, sans pathos mais aussi avec humour . Lucidité empreinte de philosophie taoïste devant la permanente impermanence, le DEFINITIVEMENT PROVISOIRE .Tout texte, l'étymologie latine le dit bien, est un tissu : chaque proserie de Lambert Schlechter est constituée d'une seule phrase-paragraphe de plusieurs pages, qu'on peut lire sans s'essouffler . Chaque texte est cousu d'un fil blanc qui reste apparent, un "entretressement"qui permet de passer d'ici à l'ailleurs, du jadis au naguère, du trivial au philosophique . C'est un flux de conscience qui s'attache à retranscrire le "murmure du monde" comme il va , sens dessous dessus, une pensée qui se cherche et s'essaye, à la manière de Montaigne . Son écriture est sismographique : évoquer avec pudeur les séismes personnels que sont la disparition de son épouse à l'âge de 38 ans et la perte de sa bibliothèque dans l'incendie de sa maison, s'évader dans des considérations amusantes sur des pratiques sexuelles trouvées dans les estampes japonaises d'Utamaro ... faire entendre "le bruit de la neige fondue tomber sur les bambous d'un jardin...bruit qui ressemble à celui des vers à soie dévorant des feuilles, ou à celui, quand la marée descend, des crabes marchant sur le sable le matin..." et la phrase se poursuit ainsi comme cette marche des crabes , latéralement . Et votre lecture avance , elle aussi à la manière de ces crabes , en suivant la laisse des mots .
de gauche à droite : Varban Christov, président des "Ailes du", Alain Hissette, Fabien le Guernevé, (premier adjoint au maire de la ville de Vannes et ... mon ancien élève 😊!!!)
Voici un article sur un ami que je connais depuis plus de quarante ans, un artiste dont la peinture se mérite . Ne manquez pas cette exposition si vous passez par Vannes .
Le
visible du signe
le
signe
le
visible du signe
la
face cachée du visible
une
fois la nappe retournée
il
reste une ligne
et
un espace
a
mindscape
dans
la réalité
de
l’atelier
des
lignes
d’un
tableau à l’autre
tes
rhizomes .
Jacques
Poullaouec
VIE
COITE
Le
silence s’est installé là
dans
un coin du tableau
il
bouge encore
c’est
la vie coite
et
ce triangle, là
le
coin dans ta mémoire
chapeau
de papier
plié
il
faudrait convaincre
le
bleu de venir
là
se poser
se
reposer
le
pinceau tourne
sur
lui-même
pigmentation
des
jours tranquilles
Jacques Poullaouec
Entrez dans « quelque-chose-bleu »
Regarder un tableau d'Alain Hissette, c'est entrer dans le bleu,
dans l'espace d'un bleu qui n'est pas celui du ciel, mais plutôt
celui d'une fleur bleue, d'un revenez-y, d'un Forget-me-not, d'un
myosotis. Comment pénétrer dans ces toiles, sans architecture fixe
ou connue ? Sinon par une tête d'épingle, un point infime.
Il faudrait avoir la liberté du spermatozoïde qui pénètre dans
l'ovule...flagelle...battements...premiers battements
d'ailes...premières pulsations du cœur. Cette amande noire dans le
bleu, blessure noire ouverte. Comment dire ? Les mots se cognent au
bord du tableau et reviennent sans cesse à ce centre de gravité.
Rentrer dans un territoire déjà connu, inconnu d'avoir été trop
connu, dans les espaces d'une vie autre. Cheminer sur les traces de
Miro, dépasser le mur de Nicolas de Stael, aller vers « cette
faucille d'or dans le champ des étoiles » ( Victor Hugo).
Il faut bien avoir recours à quelque chose pour entrer dans
l'inimaginable, pour trouver le point de rencontre entre cette main
qui a peint et cet œil, notre œil, qui regarde. La main du peintre
a une longueur d'avance; l'œil doit-il suivre le même parcours ?
Il y a quelque chose là qui parle, mais à qui? Il y a quelque
chose qui parle sans vouloir nous parler. Il faut se désencombrer
la vue de toute architecture concertée, pour entrer dans « quelque
chose bleu ». Il faudrait attendre la nuit pour relier du noir
à du noir, en passant par le bleu. Bleu-nuit, noir de charbon
éteint, charbon d'un feu depuis longtemps consumé, d'une étoile
qui brille encore, mais déjà morte. Bleu encore, de cette encre
bleue ou violette, encre qui demande un jaune ou qui le crée ou qui
l'écrit. La lumière se brise quelque part sur le rebord de ce plan.
Est-ce une table ?Il n'est pire labyrinthe que que celui qui a perdu
ses murs et ses allées, ses angles...aucun repère solide auquel
accrocher son fil d'Ariane . Nous sommes dans un espace autre où il
faut accepter de se perdre pour ...se retrouver. Pénétrez dans la
grotte, la caverne maternelle où le bleu le dispute au bleu.
Pour regarder la toile d'Alain Hissette, il faut retrouver le
tremblement de vos premiers pas, quand les certitudes n'existaient
pas encore...il faut trouver le tremblement de vos derniers pas quand
les certitudes n'existeront plus. Lâchez prise.
Jacques Poullaouec.
Fixer le temps sur la
toile
Ta peinture, Alain, est pour
moi, une radiographie et surtout pas une photographie . Il s'agit
pour toi de voir au dedans au lieu de rester à la surface des choses
. Entre toi et le « motif » que tu peins, une absence
volontaire de motivation , un lâcher-prise . C'est le Temps qui
peint pour toi, c'est le Temps que tu cherches à peindre . Pas le
temps des horloges mais le temps des vibrations qui s'agitent entre
toi et le monde . Tu veux réunir les pointillés qui te relient au
monde, à cette coupe, à ce citron, à cette nappe... peu
importe...devant ton chevalet...sur cette table . Regarder pour bien
garder, pour voir et donner à voir au regardeur, à cet autre, ce
qu'on avait déjà vu et oublié. Je pense que, pour toi, peindre
c'est avant tout laisser le temps effacer ce que tu as regardé pour
mieux le garder .
VOIR...
NE PLUS VOIR ...REVOIR
.
Peindre une nature qu'on
qualifie trop souvent de morte , alors qu'elle est une vie
silencieuse. Peindre cette nature vivante, cette vie coite,
tranquille...comme un paysage qu'on a déjà vu il y a très
longtemps et qu'on a oublié et qui remonte et qui revient se poser
là sur ta toile , se reposer après un voyage intérieur , qui s'est
fait en toi, à l'insu de toi .
Vibrations et tremblements ;
ta peinture est chamanique.