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vendredi 9 décembre 2011

Notules sur le Haïku



  1. La maladie de l'Occident : vouloir tout dire, tout expliquer, tout analyser. La supériorité de l'Orient : se contenter d'indiquer / le déictique / l'index .
  2. Beau titre pour un recueil de Haïku: INDICATIF PRÉSENT (ça a lieu ) ou PARFAIT (ça a eu lieu ). A peine commencé, déjà fini...définitivement provisoire / provisoirement définitif. ",Coucou, je ne fais que passer", voilà ce que je dis à mon miroir.
  3. L' anamnèse est un parfum sans support, un grain de mémoire, une simple fragrance. Le haïku-anamnèse  est une bulle de savon qui, à peine née, va disparaître, éclater...le contraire de la photo qui fixe (fixateur) et révèle.(Photographie de Soizic Michelot, auteur du recueil "Petits chants de la pluie et du beau temps". Vous trouverez ci-contre le lien vers son blog "réminiscences")
  4. Le haïku est un grain de sable...au lecteur de reconstituer le sablier pour tuer le temps ; au lecteur le plaisir de reconstituer toute la plage (ou toute la page!) , d'y mettre son seau (ou son sceau!) et sa pelle . Au lecteur d'y reconstruire son château de sable qui bientôt sera détruit par une vague à marée montante.
  5. L' éphémère , le provisoire, c'est quelque chose de fluide, de bref mais qui durera longtemps dans l'esprit du lecteur.
          HAÏKU : c'est quelque chose de l'ordre de la fractale, qui à partir d'un  presque rien dit le presque tout , sans enfermer le lecteur dans un univers construit et imposé par l'auteur.




"HAÏKU : lucarne ouverte un instant sur un petit fait naturel, sourire à demi-formé, soupir interrompu avant d'être entendu." Basil Hall Chamberlain.



                


 HAÏKU :  "Quitter le banal , en se servant du banal." Zen Buson





 HAÏKU  :  Capture du temps dans trois lignes définitivement provisoires. Jac P.


              
                                                                      HAÏKU  :  "No concept
                                                                                         No affect
                                     Only percept. "



Ma Méthode :

  1. Etre disponible . Etre là . Etre ouvert au monde . Se mettre au monde .
  2. Voir une chose , la sentir, la toucher, l'écouter, la goûter. Tendre un miroir, l'espace minime  d'un miroir . Le haïku est un recueil de sensations.
  3. Éprouver un sentiment mais surtout ne pas le dire . Se contenter de le suggérer, de désigner une réalité, TELLE QUELLE, sans chercher à la décrire .
  4. Faire surgir un phénomène qui , dans le troisième vers , va créer la surprise du lecteur. Suggérer , (surtout sans mettre les points sur les I ) un rapport avec un autre élément, un événement , une épiphanie . Ce rapport peut être de proximité, d'opposition, de comparaison, de conséquence...

  1.  
Et pour finir un haïku d' ONITSURA           
           
Mon âme plonge dans l'eau
et ressort
avec le cormoran

 Se contenter d'écrire "l'un, l' autre". Onitsura a remplacé le "comme"par le "avec". L'âme n'est pas le cormoran, mais l'âme, comme le cormoran, ont plongé dans l'eau.


La comparaison est simplement suggérée. Au lecteur de deviner et d'établir implicitement le rapport logique.

N.B. Voir dans les archives de ce blog, quelques articles  du mois de mars 2011, consacrés au Haïku et à mes recueils.

Microgrammes de Robert Walser. Traces de pas dans la neige.





 


Des traces dans la neige : Robert Walser



Écrire, écrire partout.
Écrire des univers majuscules dans des espaces minuscules.
Écrire comme un rouge gorge, l'hiver, avec ses pattes sur la neige.

               Robert Walser avait son « territoire de crayon »: enveloppes,, pages de calendriers, feuilles d'impôts,,papiers d'emballage, cartes de visite...Tout y passe, tout est support pour son écriture de pattes de mouche, pour ses microgrammes . Durant plus de 20 ans, Robert Walser , à la manière de Bartleby, va devenir le scrivener, le copiste, une sorte de diariste particulier, le secrétaire de ses secrets, de ses sécrétions. Il va se cacher dans son encre, comme la seiche de Michaux, comme le peintre médiéval dans son tableau, comme Wang Fô dans la nouvelle orientale de Marguerite Yourcenar. Dans brouillon, il y a brouiller et brouillard . Walser sait se rendre illisible en brouillant les pistes. Seuls quelques initiés, hommes de « lettres » bien sûr, comme Werner Morlang et Bernard Echte, pourront lire l'illisible, comprendre les traces de celui qu'on a interné dans une clinique, pour schizophrénie chronique . Robert Walser finit par avouer à un médecin qu' « il entendait des voix ». Ecrivait-il sous leur dictée ? Pendant 24 ans , il récupère des papiers partout où il peut, à l'hôpital: sacs de papier d'emballage, enveloppes, coupures de journaux et il griffonne entre 1924 et 1932, jusqu'à l'équivalent de 4000 pages imprimées. Pour quelqu'un qui ne comprendrait pas l'allemand ou même ne saurait pas lire, pour tout amateur de beauté, ces pages noircies sont belles comme des calligraphies orientales. Walser est l'homme-plume .Ecrire c'est aussi dessiner : peintre-copiste-écrivain, il porte sa plume ou plutôt sa mine de plomb, sur son « territoire de crayon ». Là est d'abord sa marque, sa signature , sa « sténographie » personnelle, son « écriture étroite » selon l'étymologie grecque de ce mot. A notre époque d'écriture virtuelle et standardisée de machines à écrire, puis de micro-informatique, seules les générations qui ont appris à écrire à la plume sergent major , à qui on a infligé des punitions de 100 lignes à copier, comprendront les délices et les affres de cette graphomanie. 

            
               Chaque feuille écrite crie qu'elle est Robert Walser, comme chaque feuille de l'arbre crie qu'elle est arbre .  « La feuille qui est sur l'arbre, connaît-elle sa beauté ? » Que ce soit un début de roman , une description ou un poème, le texte manuscrit de l'auteur est un cheminement sur le gris ou le bistre des papiers d'emballage, ou sur la neige de la page blanche. La Neige est un motif récurrent de Walser. La neige est le silence final qu'il est en train de préparer, ses mots tombent sur la feuille comme des flocons noirs, comme la trace de ses pas, ses derniers pas sur la neige,ses derniers microgrammes. Robert Walser meurt, comme un dernier flocon, lors de sa dernière promenade, le 25 décembre 1956, à l'âge de 78 ans. "Un vieux est mort" dans un linceul blanc comme neige,"blanc comme neige est son visage".

Esquisse de « La ville sous la neige »

La neige tombait dans le royaume du soir.
Puisque me voici en mouvement,
je flâne par les rues, sans but,
et vois qu'il neige, paillettes argentines.
Dans la belle saison mutine,
certains se promènent à deux,
agrément que depuis longtemps peut-^tre,
ils connaissent, s'étant conquis , rejoints,
et jamais plus l'un de l'autre disjoints.
Mais il y en a qui vont tout seuls
et qui, bien que tout seuls,
sont moins seuls que ceux qui sont deux,
toujours ensemble et à jamais liés,
eux qui voudraient parfois se voir déliés
pour flâner , légers, par la ville.
A chacun manque ce que l'autre possède,
et tous, d'une certaine façon, se portent bien.
Hier au soir, oui, je me sentais serein,
car elle rappelle, la neige qui se pose,
le capiteux éparpillement d'une rose.

Esquisse de « La neige »

La neige ne monte pas
mais prenant son élan,descend, et puis se pose.
Jamais elle ne monta.
Elle n'est par essence
à tous égards, que par silence,
pas trace de vacarme.
Si seulement tu lui ressemblais.
Repos , attente
-telle est son attachante
et douce identité,
vivre, pour elle, c'est s'incliner.
Jamais elle ne remontera
d'où elle est descendue,
elle ne court pas, elle est sans but,
et nous sourit, sans bruit.

Extraits de Esquisses de « La neige IV »



(…) Délicate splendeur de la neige.
Le paysage a l'air d'un petit lit
tout prêt à servir à l'enfant.
(...) La neige à présent comble tous les chemins.
Quelle belle saison nous avons.
L'herbe guigne, dentelle fine,
verte sur fond blanc.
Un vieux est mort dans sa maison,
blanc comme neige est son visage.
Où tombe la neige, elle demeure,
elle ne bouge ni ne fléchit.

Robert Walser.