Nouveau livre à paraître à la mi-février 2023 en librairie , mais déjà disponible chez l'éditeur Géorama .
Équilibre entre les images et les textes qui ne se veulent pas simples légendes pléonastiques .
Équilibre entre les pierres : respecter les lois de la gravité et la recherche esthétique de la légèreté.C'est le vide et l'espace entre les pierres qui maintient cet équilibre . Arnaud Arcizet est un architecte du vide.
Équilibre entre les mots du haïku qui doivent tenir la gageure rhétorique de se servir d'un lexique récurrent sans se répéter .
Arnaud et moi-même avons essayé de tenir ces équilibres dont la qualité dépend de leur fragilité .
Préface .
" Équilibrer le monde ".
« Le grave est la racine du léger ;
maître du mouvement, le calme . »
LAO ZI .Tao Tê King
Comment équilibrer le monde ? Le monde d’en haut et le
monde d’en bas ? celui du ciel et celui de la terre ?
celui des pierres et celui des mots ? Pierres dressées, à quelle
adresse destinées?Autant de questions auxquelles essaient de
répondre Arnaud Arcizet, land-artiste et photographe et Jacques
Poullaouec , auteur de haïkus , dans ce livre de dialogue entre
image et poésie .
Il faut être deux pour parler de l’entre-deux .L’un pose ses
pierres ; l’autre pèse ses mots . Le land-artiste, avec grand
soin et beaucoup de méticulosité, lentement , pose une pierre sur
une autre pierre . Il doit décider jusqu’où ne pas aller trop
haut et s’arrêter quand il estime avoir atteint l’équilibre et
l’harmonie : élever une pierre, c’est s’élever ,
atteindre le ciel . Pierres dressées , à quelle adresse destinées ?
Il faut raccommoder le monde . Pour garder une trace de cette œuvre
éphémère, définitivement provisoire et provisoirement définitive,
il prendra quelques photographies. L’auteur de haïkus, lui, est
dans le cheminement inverse : au lieu de rajouter il retranche .
Il travaille à l’économie de mots pour faire entrer tout un
univers dans le microcosme du haïku . En trois lignes, il doit dire
le maximum dans l’ « imminimisable minime minimum » du
plus petit poème du monde.
Qui a dit que les pierres étaient muettes ? Elles ont leur
langage, elles parlent à la main qui les fait parler entre elles .
Le land-art et le haïku veulent traduire cette langue particulière
. Arnaud et Jacques ont ceci en commun d’être des contempl-actifs
. Que se passe-t-il dans la tête du poseur de pierres ? Que se
passe-t-il dans la tête du poseur de mots ? Une faculté de
concentration et d’oubli : oublier et s’oublier pour se
trouver .Il ne faut pas être pressé, il faut prendre son temps,
sinon c’est le Temps qui vous prend. Poser c’est aussi peser :
le poids des pierres et le poids des mots
Vous me direz sans doute que tout ceci est inutile , je vous
répondrai que c’est bien pour cela que c’est indispensable .
Jacques Poullaouec
Il faut s'attacher à démontrer l'utile "inutilité " de la littérature et des arts qui ne doivent pas être soumis au principe de rentabilité . Ionesco, dans un texte prémonitoire écrivait ceci :
"Dans toutes les grandes villes du monde, c'est pareil ; l'homme moderne ,universel, c'est l'homme pressé; il n'a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité. Il ne comprend pas qu'une chose puisse ne pas être utile; il ne comprend pas non plus que , dans le fond, c'est l'utile qui peut être un poids inutile, accablant . Si l'on ne comprend pas l'utilité de l'inutile, l'inutilité de l'utile, on ne comprend pas l'art ; et un pays où on ne comprend pas l'art est un pays d'esclaves et de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne rient pas, un pays sans esprit ; où il n'y a pas d'humour, où il n'y a pas le rire, où il y a la colère et la haine."
1
Sur l’arête vive du temps
il voulait tenir en équilibre
le vide et le plein
2
tout peut basculer
le ciel dans la mer
le passé dans le présent
3
le soleil en équilibre sur la pierre
ça va bientôt basculer
et allumer quelques étoiles
4
Soleil et lune
en équilibre
Sisyphe heureux sur son rocher
5
il suffirait de peu
pour briser le fragile équilibre
le poids d’une plume ?
.......and so on
A la nature et à son fragile équilibre
Le rock balancing
(ou stone balancing) est une pratique de méditation par les
pierres. C’est également un art qui consiste à superposer
naturellement des pierres en jouant avec la gravité, le contrepoids,
et les points de pression, l’idée étant de trouver avec patience
et minutie la façon d’agencer les pierres choisies de manière à
créer un édifice (une sculpture) la plus harmonieuse et
spectaculaire possible pour que ce dernier tienne comme par miracle.
Cet art est très connu et pratiqué au Japon dans les jardins zen et
pourrait remonter aux origines de l’humanité.
C’est dans une
librairie que je suis tombé par hasard sur le livre de Travis
Ruskus, Cairns, qui m’a fait l’effet d’une révélation.
J’étais dans une période de recherche créative liée à
l’environnement. Habitant la côte nord du Finistère, il me fut
facile d’essayer de dresser à mon tour quelques pierres, beaucoup
plus difficile de parvenir à un résultat satisfaisant. Il m’a
fallu des mois pour tenter de maîtriser cette pratique à commencer
par la recherche et la lecture des pierres elles-mêmes, le toucher,
la perception de la matière et leur association possible entre
elles… Moi qui suis d’une nature plutôt dispersée, j’ai dû
me plier aux exigences de la patience, de la concentration et de
l’idée fixe de parvenir à un résultat même si pour les
équilibres les plus complexes, j’ai mis parfois plusieurs semaines
avant d’arriver à ce qui me semblait perfection et harmonie avec
le paysage et moi-même.
Je tenais bien sûr
à respecter les règles de cette pratique à savoir de toujours
laisser le lieu d’édification aussi vierge qu’au départ, ce qui
veut dire qu’une fois bâtie, ma sculpture est photographiée puis
démantelée pour que chaque pierre retrouve son emplacement
d’origine. Je fais toujours en sorte de ne jamais prendre de pierre
abritant ou hébergeant la moindre trace de vie animale.
Toutes ces
sculptures que vous allez découvrir n’existent donc plus, elles
sont juste figées sur la pellicule et sur ces pages, et n’ont
existé que le temps d’un regard, d’une méditation ou d’une
bourrasque ; un art de l’éphémère et de détachement aux
choses de ce monde en quelque sorte qui me convient parfaitement et
qui se prêtait magistralement à l’exercice du haïku (encore le
Japon) et au travail de Jacques Poullaouec que je remercie grandement
pour la finesse de ses textes.
Arnaud Arcizet
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