Fernando
Pessoa a beaucoup parlé de sa ville, Lisbonne, et souvent décrit le
ciel immense. voici quelques extraits du livre de l'intranquillité
(Éditions Christian Bourgois,Traduction Françoise Laye) .
1/Jour de
pluie
L'air est
d'un jaune voilé, comme un jaune pâle vu à travers un blanc sale.
C'est à peine s'il y a du jaune dans la grisaille de l'air. La
pâleur de ce gris, pourtant, recèle un peu de jaune dans sa
tristesse.(frag.189)
2/Clairs de
lune
...sur
l'avalanche nettement découpée des toits superposés, le blanc
grisâtre de la lune, humidement souillé d'un brun terne. (frag 434)
3/La ville
Et la
ville s'étage en conglomérats de nuit, soulignés de blanc d'un
seul côté, avec des nuances bleutées de nacre froide.( frag 435)
4/Un bleu
Un bleu
que blanchissait un vert nocturne découpait en brun-noir, vaguement
auréolé d'un gris un peu jauni, l'irrégularité froide des
bâtiments qui se détachaient sur l'horizon estival.(frag 438)
5/Le ciel
de l'été
Le ciel de
l'été finissant s'éveillait chaque jour d'un bleu-vert terne, pour
virer rapidement à un bleu atténué d'un peu de blanc muet. A
l'ouest cependant, il était de la couleur qu'on attribue
généralement au ciel tout entier.(frag 440)
6/Je vois
les paysages rêvés avec la même précision que les paysages réels.
(frag 96)
7/ L'idée
de voyager me donne la nausée.
J'ai vu
tout ce que je n'avais jamais vu.
J'ai déjà
vu tout ce que je n'ai pas vu encore.
...Les
paysages sont des répétitions.
...De
chaque voyage, même très court,je reviens comme d'un sommeil
entrecoupé de rêves-une torpeur confuse, toutes mes sensations
collées les unes aux autres, saoul de ce que j'ai vu.( frag 122)
8/C'est
alors , sur la plage bruissant seulement de la rumeur des vaguies ou
du vent, passant très haut dans le ciel, tel un grand avion irréel,
que je m'abandonnais à un nouveau genre de rêves-des choses
informes, merveilles à l'impression profonde, sans images et sans
émotions, pures à l'égal du ciel et de l'eau, et résonnant comme
les volutes déployées de la mer, se dressant depuis les profondeurs
de quelque grande vérité; mer d'un bleu tremblotant, oblique dans
les lointains qui verdissait en approchant du bord et montrait en en
transparence d'autres tons d'un vert glauque...tout un corps de
nostalgie avec une âme d'écume, et puis le repos, la mort, ce tout
ou ce rien qui encercle, vaste océan, l'île des naufragés qu'est
la vie. (frag 198)
9/ Tout
sentir, de toutes les manières,; savoir penser avec ses émotions et
sentir avec sa pensée...(frag 131)
10/ Je
comprends que l'on voyage si on est capable de sentir. C'est pourquoi
les livres de voyages se révèlent si pauvres en tant que livres
d'expérience, car ils ne valent que par l'imagination , ils peuvent
nous enchanter tout autant par la description
minutieuse,photographique, à l'égal d'étendards, de paysages
sortis de leur imagination, que par la description, forcément moins
minutieuse, des paysages qu'ils prétendent avoir vus. Nous sommes
tous myopes, sauf vers le dedans. Seul le rêve peut voir avec le
regard.
11/ Éternels passagers de nous-mêmes, il n'est pas d'autre paysage que
ce que nous sommes. Nous ne possédons rien, car nous ne nous
possédons pas nous-mêmes.
12/ Nous
sommes ceux que nous ne sommes pas, la vie est brève et triste. Le
bruit des vagues, la nuit est celui de la nuit même; et combien l'ont
entendu retentir au fond de leur âme, tel l'espoir qui se brise
perpétuellement dans l'obscurité, avec un bruit sourd d'écume dans
les profondeurs!
13/ Le matin
Tout
seul sur le quai désert
en
ce matin d'été
je
regarde du côté de la barre,
je
regarde vers l'infini,
je
regarde et suis content de voir
tout
petit, noir et clair, un paquebot entrer.
Il
apparaît au loin classique à sa manière
dans
l'air lointain il laisse derrière lui
le
sillage vain de sa fumée
il
entre calmement,
et
le matin entre avec lui. ( Ode Maritime )
14/ Dans la nuit...
Roule,
grande boule, fourmilière de consciences, terre, roule, teintée
d'aurore, chapée de crépuscule, d'aplomb sous les soleils,
nocturne,
roule dans l'espace abstrait, dans la nuit à peine
éclairée, roule... ( Passage des heures )
15/
« Não
sou nada.
Nunca serei nada.
Não posso querer ser nada.
À
parte isso, tenho em mim todos os sonhos do mundo. »
« Je
ne suis rien
Je ne serai jamais rien
Je ne peux vouloir être
rien
Cela dit je porte en moi tous les rêves du monde. »
(Bureau de tabac)
16/
Éternels
passagers de nous-même, il n'est pas d'autre paysage que ce que nous
sommes. Nous ne possédons rien, car nous ne nous possédons pas
nous-même. Nous n'avons rien parce que nous ne sommes rien. Quelles
mains pourrais-je tendre, et vers quel univers ? Car l'univers
n'est pas à moi : c'est moi qui suis l'univers. (L.I. frag.138)
17/
Je
m'enfoncerai dans la brume, comme un homme étranger à tout, îlot
humain détaché du rêve de la mer, navire doté de trop d'être, à
fleur d'eau de tout. (L.I. frag.86)
18/
Entre
la vie et moi, une vitre mince. J'ai beau voir et comprendre la vie
très clairement, je ne peux la toucher. (L.I. frag.80)
15/
Je vois
les paysages rêvés avec la même précision que les paysages réels.
(frag 96)
16/
Nous
sommes tous myopes, sauf vers le dedans. Seul le rêve peut voir avec
le regard.
29/
Le
rêveur ne voit que l'important. La réalité véritable d'un objet
n'est qu'une partie de lui-même ; le reste n'est que le lourd tribut
dont il paie, à la matière, le privilège d'exister dans
l'espace...
Un couchant
réel est quelque chose d'impondérable et d'éphémère.
Un couchant
de rêve est fixe et éternel.