Voici un beau recueil de Haiku que vient de publier Danièle Duteil . Elle m'a demandé d'en écrire la préface.
Préface
Dans ces haïkus, cherchez l'auteur.
Voilà le jeu que je vous propose pendant et après
votre lecture de ce recueil de Danièle Duteil. Le jeu du peu de JE,
en quelque sorte . Les occurrences de la première personne sont en
effet très rares, comme chez les grands haïjins japonais . On
la croit absente, puisqu'elle se dit « au bord de nulle
part » ; en réalité elle est partout ...elle est au
monde, elle lui appartient. Le monde ne lui appartient pas mais elle
vous le propose, le tend vers vous comme une offrande, dans l'espace
minime des 3 vers. La vraie poésie ne consiste pas à se regarder
dans un miroir mais à le diriger vers le ciel, la terre, la mer pour
y accueillir un temps tout ce qui y passe, définitivement
provisoire, provisoirement définitif. Le miroir taoïste ne garde
rien, si ce n'est quelques reflets au-delà du tain. Des reflets du
monde plutôt qu'une réflexion sur le monde .Ici aucun
narcissisme, aucune pose pour s'admirer ou se plaindre. Bien sûr
l'émotion est présente devant la beauté de la nature ou la fuite
du temps, mais c'est à vous lecteur, de la deviner … à la vue
d'une « vieille qui tire un chien impotent » , un
« sans-abri sous ses cartons ». Il s'agit de suggérer
plutôt que d'imposer des idées ou des concepts. Le haïku n'a nul
besoin d'une béquille philosophique. Bashô conseillait d'échapper
aux lieux communs quand il notait : « Qu'il est
digne d'admiration celui qui, devant l'éclair, ne pense pas :
« que la vie est brève ! » Pas d'affect non
plus. Quand elle se promène sur les bords de la ria d'Etel, elle ne
se laisse pas aller au Romantisme de pacotille devant une Bretagne
« néo-chateaubrianesque »(sic ) Excusez ce néologisme
un peu fabriqué mais qui convient assez à ce que je veux dénoncer :
il ya du style néo-breton dans une soi-disant architecture mais
aussi dans certains écrits pseudo-régionalistes.
Pas de concept, pas d'affect mais seulement ce que
Gilles Deleuze nomme des« percepts ». Voilà ce qui
pourrait constituer une bonne définition du haïku. Ce que Danièle
Duteil accueille provisoirement dans son miroir, ce sont uniquement
des perceptions. Elle nous convie à une promenade des 5 sens, de
« la première aube » au « dernier matin ».
Elle est de passage dans « l'entre-deux », « au
bord de nulle part » entre jour et nuit, entre deux saisons,
entre deux vagues comme les bernaches, dans cet ukyo Yé, ce monde
qui flotte des estampes japonaises.Elle n'est déjà plus ici, elle
est encore là-bas. Elle propose à son lecteur de marcher sur ses
brisées, de retenir les traces, de retrouver « les pleins et
les déliés du passé, de « glisser dans ses souvenirs »
comme les premiers flocons sur les souvenirs d'autres souvenirs ».
A la manière de Sei Shonagon et de ses listes , Danièle Duteil
note dans ses carnets ses choses vues. Et quand la promeneuse
rentre chez elle, elle dépose sur la table des brassées de fleurs
sauvages. Comme un enfant qui vide ses poches, elle déroule sur le
papier-makimono son « inventaire » du monde (ne
parle-t-on pas d 'inventeur pour désigner celui qui a découvert
un trésor?) : des mots en forme de « coquillages à
roudoudous » ou de bois flottés, des morceaux d'algues ,
lignes écrites sur l'estran par les laisses de mer . Parfois hélas,
ce sont des seringues échappées de quelque container ou des déchets
recrachés par la mer qui régurgite ce dont elle ne veut pas se
nourrir. D'autres fois encore, comme un chasseur rentrant bredouille,
elle note sur son calepin « Rien aujourd'hui ».(Comme
Louis XVI qui dans son journal note «Aujourd'hui RIEN »
à la date du 14 juillet 1789 !). Le Rien , c'est déjà
beaucoup , c'est le vent et la mer, agitateurs de pensées, de
flocons et de parfums .
A la dernière page du « dernier matin », à
force de chercher l'auteur, vous vous serez découvert lecteur, et
comme « la mer du dernier matin, vous vous retirerez en
silence ». Le jeu en valait bien la chandelle. Lire un recueil
de haïkus de Danièle Duteil, c'est comme recevoir des embruns.
Jacques Poullaouec
Une musicalité liturgique au coeur de l'âme
RépondreSupprimerUne prose digne d'un moine zen, j'ai beaucoup apprécié ce point de vue.
Merci encore pour cette belle préface, Jacques !
RépondreSupprimer